Pourquoi la baisse de la Taxe Sur les ­­Carburants en Guadeloupe est une fausse bonne idée ? 

Depuis quelques semaines, se joue une petite musique lancinante dans les stations-services. Et elle prend de l’ampleur au fur et à mesure que le prix de l’essence augmente, en impactant sérieusement et lourdement le budget des ménages guadeloupéens.

Comme à l’habitude, la proximité des élections y apporte ses dièses et autres variations harmoniques. Pensez donc ! Est évoqué, bien sûr, le consommateur, dindon de la farce, qui arrive en bout de chaîne et doit (déjà) faire face à une forte augmentation des prix des matières premières et produits du quotidien.

Cette petite musique est celle qui laisse entendre, en substance, que la Région Guadeloupe pourrait baisser le taux de la Taxe Sur les Carburants (TSC) pour soulager nos compatriotes.

Cette mélodie est reprise en chœur par les représentants des candidats à l’élection présidentielle. Certains observateurs économiques ont ajouté leur voix en interpellant la Région Guadeloupe. La décision de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) de diminuer le taux de sa TSC de 3 centimes n’a fait que conforter ces postulats. Nous sommes littéralement devant une injonction. Dont acte !

Cependant, posons-nous (naïvement) les questions suivantes. La baisse de la TSC est-elle vraiment une bonne idée ? Cette diminution (in fine) aura-t-elle un effet bénéfique pour le portefeuille des Guadeloupéens ? La réponse globale est certainement plus subtile qu’elle n’y paraît.

Qu’est-ce que la TSC ? 

Il convient d’abord de savoir de quoi nous parlons. La TSC a été instaurée dans les DOM par l’article 266 quater du code des Douanes. Ce dernier précise, en son alinéa 2, que le taux de cette taxe est fixé par le Conseil régional. Son niveau ne peut être supérieur à la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques (TICPE), son équivalent au niveau national.

Actuellement, les taux applicables sont encadrés par une délibération N°CR/07-027 du 27 février 2007. Ils sont fixés à 49,937€ par hectolitre pour le super sans plomb et à 29,090 € par hectolitre pour le gazole route.

Ces produits sont passibles des taxes d’octroi de mer et d’octroi de mer régional. A noter que le taux d’octroi de mer est identique pour les deux produits (5%). Il en est de même pour le taux d’octroi de mer régional (2,5%).

Des taux TSC inchangés depuis 2007

Gardons en tête ce point fondamental de raisonnement : ces taux n’ont pas varié et n’ont jamais fait l’objet d’augmentation par le Conseil régional depuis plus de 15 ans. En effet, depuis 2007, ils sont restés fixés à 28 centimes d’euros par litre pour le gazole et 49 centimes d’euros par litre pour l’essence (super sans plomb).

Contrairement aux communes et autres Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI), la possibilité pour la Région Guadeloupe d’agir sur la fiscalité en l’espèce est très limitée. Il n’empêche que celle-ci intervient régulièrement pour accompagner les entreprises, à travers notamment des exonérations d’octroi de mer.

Cette option pourrait constituer une première réponse afin de mieux cibler les secteurs économiques qui aspirent à un effort supplémentaire. En effet, le système actuel prend en compte le fait que le gazole et le super sans plomb puissent faire l’objet d’exonérations, lorsqu’ils sont destinés à l’avitaillement des bateaux de pêche, de commerce, des administrations régaliennes. Autre cas de figure :  l’alimentation des véhicules, engins utilisés par certains professionnels, tels que les artisans taxis, les agriculteurs ou encore les professionnels du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP).

Un exemple récent : la décision du Conseil régional à la fin du mois de mars d’octroyer 300 000 euros à la filière canne, compte tenu des surcoûts impactant fortement le secteur, afin de permettre le lancement de la campagne sucrière et ainsi de ne pas pénaliser les planteurs.

Comme cela a pu être fait pour les Entreprises de Travaux Agricoles (ETA) dans la filière canne, il s’agirait dès lors de concentrer l’effort du Conseil régional sur certains secteurs économiques très éprouvés par l’augmentation des matières premières. 

Citons les taxis qui cumulent depuis deux ans une succession d’effets dommageables : manque à gagner induit par la chute de la croisière, mais aussi la fermeture de l’aéroport au plus fort de la crise du Covid-19 et maintenant l’augmentation du prix de l’essence. A ceux-ci, s’ajoutent notamment les marins-pêcheurs, les ambulanciers, les transporteurs scolaires, etc.

L’ensemble des remboursements de TSC, en moyenne annuelle sur la période 2017-2020, s’élevait à 805 306€.
Le Conseil régional a procédé, l’an dernier, au remboursement partiel de la TSC pour un montant de près de 800 000€ aux professionnels suivants :
- les artisans-taxis et transporteurs de personnes à mobilité réduite : 560 000€
- les chauffeurs de véhicules de grande remise : 8 960€
- les transporteurs de marchandises du BTP : 228 800€. 
Par ailleurs, des exonérations de la TSC sont accordées, soit « à la source », soit par voie d'arrêté, à certains secteurs professionnels tels que :
- les marins-pêcheurs : 2 348 275€
- les engins de chantier du BTP et les machines agricoles : 1 998 307€
- les boulangers pour un montant de 194 554€.
Montant total de remboursement pour ces trois secteurs : plus de 4,5 M€.
Chiffres de 2020 
- Exemption de la TSC et exonération d’octroi de mer et d’octroi de mer régional, lorsqu’ils sont destinés à l’avitaillement de certains aéronefs : environ 3 M€ de dépense fiscale ;
- Exonération de la TSC, d’octroi de mer et d’octroi de mer régional, lorsqu’ils sont destinés à l’avitaillement de certains bateaux, à l’exemple des bateaux de pêche, de commerce, des autorités publiques : 5,4 M€ de dépense fiscale dont 4,95 M€ d’exonérations de TSC ;
- Exonération de la TSC et de l’octroi de mer lorsqu’ils sont destinés à alimenter les moteurs des installations fixes des certaines industries ou des engins utilisés par certains professionnels bénéficiaires d’une autorisation d’approvisionnement en gazole non routier, tels les agriculteurs ou les professionnels du BTP : 3,28 M€ de dépense fiscale dont 2,22 M€ d’exonérations de TSC.

Clarifier pour dissiper tout flou et préjugé

Il convient de « lever le doute » sur le lien réel qui unit la Région Guadeloupe à la TSC ! Dans les faits, la collectivité régionale ne fait que fixer le taux et répartir le montant de cette TSC aux collectivités locales.

La répartition du produit de la taxe est décidée conformément à l’article L.4334-3 du code général des collectivités territoriales. Elle est effectuée entre les entités suivantes : le Conseil régional, le Conseil départemental, les EPCI, les communes.

Pour l’année 2021, le produit de la TSC est estimé à 102 M€, dont 50 M€ pour le Conseil régional. Cela signifie que plus de 50% des recettes liées à la TSC sont reversées au Département, aux EPCI et aux communes. 

En 2021, le montant de la recette de la TSC s'est élevé à 102 566 448€ (contre 100 743 283 € en 2020). Il a été réparti aux différentes collectivités éligibles comme suit :
- Conseil régional : 50 848 650€ (49,58%)
- Conseil départemental : 27 117 851€ (26,44%)
- EPCI : 3 076 993€ (3%)
- Communes : 21 522 954€ (20,98%).

À ce stade, il est important de rappeler un point primordial : le reversement de cette taxe sur les carburants (ainsi que les reliquats de l’octroi de mer) représente près de 50% des recettes de fonctionnement des communes. Ainsi, la TSC constitue l’ossature budgétaire des communes fortement endettées et impactées par la crise.

Les taux les plus faibles des autres DOM !

Autre point, le plus important : la Région Guadeloupe est loin d’être la moins vertueuse sur le sujet, comme le montre bien le comparatif des taux applicables dans les départements et collectivités d’Outre-Mer. Dès lors, comment laisser croire que ce montant puisse encore diminuer sans impact sur l’économie globale du budget régional ? Soulignons-le à nouveau : les taux appliqués se situent dans la moyenne très basse de ceux applicables. 

En résumé, la Région Guadeloupe, comme la Collectivité Territoriale de la Martinique qui présente des taux identiques et une situation similaire, remplit davantage un rôle de « collecteur » que celui de « profiteur ».

De plus, il ne fait nul doute qu’un changement brutal des équilibres existants achèverait définitivement les communes, sans pour autant que cela se ressente à la pompe pour les consommateurs. En clair, agir sur la TSC, même avec une main tremblante, ne sera pas sans conséquence.

Quelles sont les perspectives ?

Une fois le problème bien posé, il s’agit d’entrevoir les possibilités offertes. La question de la baisse des taux pour amoindrir l’impact de l’augmentation du prix de l’essence est bien plus complexe qu’elle ne parait. 

Les problématiques conjointes de la TSC et de l’octroi de mer convoquent d’autres questions essentielles, auxquelles sont confrontées aujourd’hui la Région Guadeloupe, en tant que chef de file du développement économique, de la prospective et de la planification :

  • la réforme de la fiscalité régionale, dont la marge de manœuvre est faible ;
  • l’incidence de la transition énergétique sur les ressources de nos collectivités. Par un effet ciseaux, l’augmentation du nombre de voitures électriques dans le parc va provoquer fatalement une baisse du volume des recettes liées à la TSC.

Le contexte de ces augmentations des prix du carburant est le moment idéal pour poser ces questions, mais en y apportant les bonnes réponses. Il nous offre l’opportunité de nous tourner vers les autres acteurs (Etat, pétroliers, raffineurs) qui peuvent non seulement prélever des taxes, mais également agir pour baisser le coût supporté par les consommateurs.

L’Etat devrait étendre sa mesure dans le temps

Le Gouvernement s’est engagé à baisser les prix des carburants à compter du 1er avril 2022 et ce pour quatre mois. En vertu du décret n° 2022-423 du 25 mars 2022, une aide exceptionnelle à l’acquisition de carburants a été décidée au bénéfice des consommateurs. Son montant hors taxes est identique pour tous les publics et sur l’ensemble du territoire concerné : 15 centimes d’euros par litre pour les gazoles et essences, ainsi que le gaz de pétrole liquéfié ou GPL.

Pour la Région, le Département, les EPCI et les communes, une baisse non anticipée de la TSC aurait une incidence désastreuse sur le tissu économique et le budget des collectivités territoriales. Une telle décision déboucherait inéluctablement sur une aggravation du déficit des communes et une réduction des effets du plan de relance porté par la Région Guadeloupe. Les conséquences seraient immédiatement palpables également sur les maîtrises d’ouvrages déléguées, ainsi que sur les engagements de la collectivité dans le financement des politiques publiques de l’eau, du plan d’élimination des déchets et de la remise aux normes parasismiques des écoles. 

« C’est une décision qui est simple en apparence, mais dont les conséquences vont être supportées par notre collectivité, notamment en ce qui concerne sa capacité à agir au service des Guyanais et à répondre aux attentes de la population. »
Gabriel Serville, président de la CTG

En conclusion, ceux qui préconisent la baisse de la TSC ont sans doute oublié de lire la fin du communiqué de presse du président de la Collectivité Territoriale de Guyane. Gabriel Serville met en garde ses compatriotes : « La baisse de 3 centimes entraînera une baisse de la commande publique, des travaux et un retard dans les chantiers entamés ».

Ce n’est pas le scénario retenu par la majorité régionale en Guadeloupe qui se dit prête, néanmoins, à étudier des aides et exonérations ciblées, afin de soutenir les secteurs en difficulté, sans courir le risque de mettre les finances des communes et des EPCI encore plus dans le rouge.

Sources : Région Guadeloupe, Direction de la fiscalité indirecte, service de l’octroi de mer, Collectivité Territoriale de la Guyane, Collectivité Territoriale de la Martinique.