Il faut distinguer le bon grain de l’ivraie avant d’accuser les communes

« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! » C’est le  premier ressenti de Teddy Bernadotte le directeur de cabinet de la collectivité régionale, mais aussi ancien directeur à Baie-Mahault à la lecture des procès généralement faits aux collectivités locales . il a partagé une analyse bien différente avec notre rédaction.

Pourquoi avons-nous une perception faussée des communes

S’il est une collectivité qui a subi un profond bouleversement administratif c’est bien la commune. C’est l’institution de base vers laquelle se tourne en tout premier lieu le citoyen en difficulté. La commune n’est pas seulement une collectivité territoriale désincarnée, mais elle est aussi un fait social. Veut-on sa disparition? Les invitations au châtiment qui encombrent la “dictée confidentielle“ du quotidien pourraient le laisser penser. Mais depuis la loi du 5 avril 1884, l’affirmation progressive des communes face au pouvoir central est consacrée, de même que sa capacité d’adaptation. Par ailleurs les différents rapports de l’Association des Maires de France (l’AMF) montrent que « Les maires de France en ont ras le bol » et que selon une étude, 49% de ceux-ci souhaitent arrêter leur mandat en 2020. Cela touche surtout les petites communes, avec 55% des maires dont les villes ont moins de 500 habitants, contre seulement 9% des maires aux communes de plus de 300 000 habitants ». Faire face en même temps à la diminution des dotations et à l’accroissement de leurs compétences telle est l’impossible équation pour les communes ! Les gouvernements successifs ont maintenu le cap de la « rigueur » imposée aux collectivités locales. Plusieurs milliards d’euros d’économies réalisés par l’État et imposés sans concertation. Tout cela se traduit inévitablement par une dégradation de leur situation budgétaire et surtout de la qualité des services publics.

Pourtant la faillite des communes est réelle

En vérité, cet accent mis lourdement sur la faillite des communes évite de poser une question plus vaste c’est celle de la faillite de l’État lui-même. Lionel JOSPIN avait posé la question. François FILLON l’a affirmé dès son entrée en fonction : « Je suis à la tête d’un État en faillite“ avait-il lâché, ceci pour justifier la nécessité d’une politique budgétaire plus rigoureuse. Le Président de la République Nicolas Sarkozy à Petit-Bourg, dans le cadre des vœux à l’outre-mer en 2011 n’a pas infirmé cette tendance. Le chef de l’État encourage les élus locaux « à prendre leurs responsabilités » et il appelle « tout un chacun à participer à l’effort de solidarité nationale, pour réduire la dette ». De ces questions et constatations découle une politique : tenir le budget de la nation sous la barre des 3% du PIB comme l’exige l’Union européenne. Avec une dette publique de 2315 milliards d’euros en 2018, la France fait l’objet d’une attention vigilante de la part de la Commission Européenne. L’État se voit alors contraint de limiter les transferts financiers en faveur des collectivités locales. Les salves régulièrement tirées contre les collectivités locales ont plusieurs objectifs : D’une part démontrer que l’ensemble des acteurs locaux et non exclusivement, les élus locaux, sont incompétents. D’autre part, contribuer à justifier une remise en cause du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités. Enfin, elles concrétisent un mouvement amorcé depuis la réforme territoriale celui d’une remise en cause de la décentralisation, pour une nouvelle ère, celle de la recentralisation et du préfet architecte.

Comment analyser  l’adhésion de communes aux EPCI

Dans de nombreux cas, cet impact de l’intercommunalité sera fortement préjudiciable. En Guadeloupe, où elle a plus souvent été imposée qu’anticipée, le préjudiciable est garanti pour les budgets des communes, les taux d’imposition et la qualité des services publics. la création des EPCI va exercer une pression fiscale nouvelle. Cela va se traduire par une évolution à la hausse des ressources fiscales telles que la Contribution Économique Territorial (CET), la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM). D’où l’incompréhension de certains ménages à qui l’on a présenté l’intercommunalité comme un moyen de réduire les dépenses, de mutualiser les moyens, en somme de faire des économies d’échelle.
Dans le premier temps intercommunal, l’État avait introduit une dotation globale de fonctionnement (DGF) bonifiée. Aujourd’hui, il s’agit davantage de péréquation intercommunale, c’est à dire de solidarité entre les communes, plus que de versement de dotations nouvelles émanant de l’État. L’intégration à un EPCI à fiscalité propre, pour certaines communes ayant un taux d’imposition plus faible que celles des autres communes membres, peut se traduire (in fine) par une augmentation de la pression fiscale.

Quelles sont les marges de manœuvres des 2 assemblées majeure

Depuis l’acte II de la décentralisation, on assiste à un accroissement des compétences confiées aux assemblées locales. En Guadeloupe, l’État pourrait avoir sous-estimé le coût réel des charges transférées au conseil général. Acteur majeur du développement économique et de la planification urbaine, la collectivité régionale, quant à elle, apparaît comme étant l’unique collectivité en mesure d’investir les nécessaires politiques de développement et d’aménagement du territoire. Pour autant, les finances régionales sont également impactées par ce même jeu de transferts de compétences. L’absence de maîtrise de la fiscalité locale constitue une autre source de préoccupation. En sus, dans nos régions, les collectivités majeures suppléent et participent au financement des compétences régaliennes et supportent le poids des changements législatifs. Le département assume le poids du RSA et la Région intervient dans le financement de l’eau et le traitement des Sargasses.
Il est fort à parier que ces contraintes vont peser sur leur participation au financement des projets communaux.

Les maire n’ont-ils pas trop recruté ?

En Guadeloupe, suite aux conflits syndicaux, l’assainissement de la situation du personnel communal (dont la prise en charge de la sur-rémunération des fonctionnaires) a fait exploser la part de fonctionnement des budgets. Il importe de noter également l’impact de l’intégration des emplois aidés dans la masse salariale.
Cela démontre qu’il y a en outre-mer une responsabilité sociale particulière des maires en matière d’emploi exercée conjointement avec l’État : Lorsque l’État demande aux maires de recruter des emplois aidés au nom de la politique de lutte sociale contre le chômage puis décide de les supprimer, il ne supprime pas le besoin auquel répondaient ces emplois. Il place le maire dans la situation de devoir prendre en charge à 100% des emplois qui étaient subventionnés. Dans la plupart des cas ces salaires sont majorés de 40% plus des charges. Il est impossible de procéder à une analyse sérieuse de la situation dans notre archipel sans tenir compte de la situation économique et sociale, du taux de chômage et de l’action sociale animée par les collectivités locales. Graduellement, et de manière sournoise, on arrive à un tragique paradoxe : D’un côté, on accumule tous les constats qui amènent à prendre le chemin d’une responsabilité politique locale claire, et assumée par tous les guadeloupéens. De l’autre, on instille dans l’inconscient collectif une présomption d’incapacité des acteurs locaux et leur représentation politique à se prendre en main et bâtir notre destin

(Propos recueillis par Jacques Dancale
Nouvelle Semaine du 5 au 11 juillet 2019)

Votre commentaire