Pour un véritable projet de territoire

L’élaboration du schéma départemental de coopération intercommunale constitue la dernière chance de réussir l’intercommunalité et de définir un véritable projet de territoire.

Le 1er janvier 2014, la carte de l’intercommunalité devra être achevée. Tel est l’objectif fixé par le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, adopté par le Sénat le 4 février 2010. Les préfets de département ont donc jusqu’au 31 décembre 2011 pour élaborer le schéma départemental de coopération intercommunale, prévoyant la cou-verture de l’ensemble du territoire français par des intercommunalités.

Le volet intercommunal de la loi aura une faible incidence sur la grande majorité des communes de l’hexagone. Il en va autrement pour notre Région encore trop faiblement intercommunalisée. Dès lors, une interrogation demeure sur la volonté des communes, jusqu’ici hostiles à toutes formes de regroupement, à adhérer à marche forcée à des structures intercommunales à fiscalité propre.
Mode d’harmonisation des services publics et espace de coordination stratégique, l’intercommunalité constitue un atout majeur pour l’entité administrative de proximité que reste fonda-mentalement la commune, dans la mesure où celle-ci n’est pas considérée comme une strate destinée à terme à remplacer le niveau communal, mais un impératif d’efficacité au service d’une plus grande modernisation de la gestion locale.

Cependant, constatons que le rythme imposé à la commission départementale de coopération intercommunale (1) (CDCI) et le délai fixé pour adopter le schéma départemental de coopération intercommunale est court. Aussi, la CDCI peut être vécue comme une contrainte, d’autant que les pouvoirs du préfet semblent toujours considérables (2). Pour autant, les élus doivent percevoir cette réforme comme la dernière opportunité qui leur est offerte de réussir une intercommunalité libre, volontaire, et adaptée aux besoins d’une population qu’ils connaissent particulièrement.

Par sa position intermédiaire, la CDCI oblige à s’interroger sur les objectifs de la coopération, à optimiser le niveau de production des services publics locaux, à rapprocher le périmètre de production des richesses fiscales et le bassin d’emploi, et enfin, à retenir l’échelle et l’instrument adéquat pour élaborer et mettre en œuvre un projet territorial concerté.C’est bien là l’enjeu du schéma départemental proposé : un développement de l’intercommunalité répondant à un impératif d’efficacité au service d’un Projet de territoire, qui ne peut se réduire à l’analyse des services de l’Etat.

Ainsi, les communes n’ayant pas encore adhérées aux EPCI à fiscalité propre doivent s’enrichir d’études, de simulations et évoquer les différents scénarii pour trouver le périmètre pertinent afin d’asseoir leur développement respectif sur des bases solides. En cela, il est important qu’elles soient accompagnées par les assemblées locales en charge de la prospective et des schémas (supra) pour le développement économique (3), (SRDE), l’aménagement du territoire (SAR) (4), le traitement des déchets (PDEDMA)(5), ou encore l’insertion (PDI)(6). La volonté partagée de l’État et des assemblées locales (Région, Département) de voir émerger des syndicats uniques en fonction des champs de compétences délégués (eau, déchets, électricité, transports) conforte cette analyse.

Afin d’éviter toutes concurrences stériles dans l’exercice des compétences transférées, les communes devront Anticiper les conséquences de la création des nouvelles Communautés (de communes ou d’agglomération) ainsi que la réorganisation des syndicats intercommunaux exis­tants. Les élus doivent prendre la mesure des enjeux, et aboutir à une carte de l’intercommunalité élaborée dans l’objectif du plus grand consensus. De plus, toute proposition géographique doit être assortie de simulations financières et de données de gestion approfondies.

Or, il apparaît que la plupart des départements, y compris dans l’hexagone, n’ont pu, compte tenu des délais impartis, apprécier la pertinence financière des propositions effectuées. Il leur appartient (également) d’obtenir l’adhésion des populations pour garantir le bon fonctionnement des structures intercommunales.

Le renforcement de la coopération intercommunale autour de nouvelles perspectives de développement et une plus grande efficacité dans le service à nos concitoyens est nécessaire, mais il est essentiel que les nouveaux périmètres puissent s’établir pour les élus en toute liberté et connaissance de cause, sur la base d’un projet pertinent et de données complètes et fiables. Il y a en effet deux manières de procéder : soit s’inscrire dans des schémas impératifs venus d’en haut, soit se référer au principe de libre administration des collectivités territoriales, en créant des regroupements sur la base d’un projet voulu par les élus pour les territoires dont ils ont la charge.

En Guadeloupe, les lois du 6 février 1992 (d’Administration Territoriale de la République) et du 12 juillet 1999 (qui renforce et simplifie l’intercommunalité) s’inscrivent dans le prolongement de la décentralisation et apparaissent effectivement comme les lois fondatrices de l’intercommunalité de projet. Ces textes n’ont jamais eu de véritable impact puisque l’intercommunalité n’a jamais été perçue comme un élément de support du développement local. Ce facteur ex­plique en partie le retard constaté dans le suivi et la gestion des services publics, dans l’absence de cohérence de l’aménagement du territoire, et les difficultés que rencontrent les communes à exercer pleinement leurs compétences.

La situation est pour le moins singulière. Les élus locaux, (à l’exception des marie-galantais qui portèrent sur les fonds baptismaux l’émergence de la première communauté des communes de l’outre-mer (7), devront en moins de six mois : définir leur intérêt communautaire, faire le choix des compétences optionnelles, amortir l’impact de la fiscalité, alors même qu’ils ne sont pas parvenus durant ces vingt dernières années à transformer une intercommunalité technique en une véritable intercommunalité de projet.

Parce qu’elle impose une date butoir aux communes, la réforme territoriale incite à reposer la question de l’intercommunalité et entraîne la fin d’un statu quo. La coopération intercommunale n’a pas su s’imposer en Guadeloupe, contrairement à la dynamique qui s’est instaurée sur l’ensemble du territoire métropolitain et dans les autres régions ultramarines. A défaut d’avoir su devancer des mutations fortes et déjà perceptibles, notre archipel prend le risque de se voir imposer l’intercommunalité par le pouvoir central.

(Lettre du CAGI n° 14 – Fév-Mars 2012)


  1. Créée par arrêté préfectoral du 19 avril 2011 comprenant 42 membres et représentant les différentes structures communales, intercommunales, départementale et régionale de la Guadeloupe)
  2. Le texte prévoit que les conseils municipaux et organes délibérants des EPCI, concernés par les modifications de schéma, seront consultés, de même que la CDCI. Mais le dernier mot revient au préfet qui, en cas de désaccord, peut créer un EPCI “par décision motivée, après avis de la CDCI ”. Le préfet peut également proposer des fusions, modifications ou dissolutions d’EPCI, ne figurant pas dans le schéma initial, après avis de la CDCI. En outre, les élus disposent d’un délai de trois mois pour se prononcer sur le schéma proposé par le préfet, qui n’est pas “ un simple document d’orientation mais comporte des effets juridiques ”, et faute de respect de ce délai, leur avis est réputé favorable
  3. Schéma Régional de Développement Économique.
  4. Schéma d’Aménagement Régional.
  5. Plan Départemental d’Élimination des Déchets Ménagers et Assimilés.
  6. Plan Départemental d’Insertion.
  7. Le 18 janvier 1994 à lʼhabitation Murat.

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