L’intercommunalité de projet dans l’Archipel guadeloupéen

En Guadeloupe, le nombre d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) témoigne de la vitalité de l’ intercommunalité. Cependant, les élus se heurtent à la difficulté de transformer une intercommunalité technique et de gestion (essentiellement des syndicats à vocation unique) en une véritable intercommunalité de projet et fédérative. La coopération intercommunale a toujours été perçue comme un moyen d’harmoniser la gestion des services publics.

Plus qu’ailleurs, la collectivité communale est la structure de base et représente un fait social. Le problème de l’émiettement communal bien spécifique à la France hexagonale se trouve donc dépourvu d’objet en Guadeloupe. Cela s’explique du fait de l’étroitesse du territoire ainsi que du faible nombre de communes par rapport à la population. Dès lors, comment parvenir à une coopération intercommunale plus rationnelle, plus moderne, plus adaptée à la réalité locale? Comment amener les communes à mettre en pratique une réelle intercommunalité sans les y forcer tout en les incitant fortement à la mettre en œuvre ? L’intercommunalité doit-elle venir de la base ou être imposée d’en haut par le pouvoir central ? A cet égard, comment envisager et penser en Guadeloupe l’obligation d’ intercommunalité à l’horizon 2012 ?

I- Une chance pour la valorisation des ambitions communales

Au-delà des considérations financières importantes, le développement de l’intercommunalité de projet demeure un enjeu essentiel pour l’aménagement du territoire, le développement économique et la gestion des services publics. Cette forme d’intercommunalité est, aussi, l’une des voies de résolution des problèmes budgétaires récurrents des communes. Plus que jamais, nous devons devenir de fervents partisans de la coopération intercommunale, qui demeure une réponse au défi de la gestion moderne des affaires locales.

Conscients des enjeux, les élus devront faire le choix d’être solidaires pour réussir. Les établis­sements publics de coopération intercommunale doivent être à l’avenir des lieux de décision qui permettent d’instaurer de la distance à l’égard des pressions trop immédiates des intérêts locaux, et de penser le développement en termes de complémentarités et non de concurrence toujours coûteuse et souvent stérile. Le développement de l’intercommunalité de projet constitue le changement le plus marquant du paysage politico-administratif de la Guadeloupe, et ce depuis les lois de la décentralisation. Un développement aussi rapide et aussi large de la coopération intercommunale ne va pas sans perturber, jusqu’à remettre en cause, la relation entre les trois niveaux de collectivités locales (commune, département, région). La réussite de l’intercommunalité de projet dans une région mono-départementale comme celle de la Guadeloupe suppose une double exigence. D’une part, une mutation du territoire, afin de ne pas apparaître comme l’émergence d’un 4ème niveau institutionnel mais comme un cadre cohérent d’exercice des compétences et de solidarité. D’autre part, une mutation des esprits, « la liberté de choisir son destin individuel ne peut s’épanouir que dans un rapprochement de partenaires, solidaires dans l’action. Nos sociétés modernes, condamnées à croître en complexité, ne peuvent progresser dans la liberté que par la solidarité ». (1) C’est la fin du mythe de l’autonomie communale qui s’inscrit désormais dans la démarche d’interdépendance.

En Guadeloupe, l’intercommunalité existe, d’ailleurs le nombre d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) témoigne de cette vitalité. En fait, les élus se heurtent à la difficulté de transformer une intercommunalité, technique (2) et de gestion en une véritable intercommunalité de projet et fédérative. La corrélation est évidente entre le faible degré d’intégration des structures existantes et l’intérêt suscité spontanément par les nouvelles formules de coopération. En effet, ce sont surtout des syndicats à vocation unique. Alors que cette nouvelle intercommunalité devrait être d’abord fondée sur le développement économique et l’aménagement de l’espace (les deux compétences obligatoires des communautés), c’est très souvent l’apport de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui inspire les élus.

On ne traite pas de la même manière des territoires vastes souffrant d’émiettement communal et des territoires insulaires et étroits dont la moyenne des habitants par commune atteint un optimum dimensionnel.

Notre département ne compte que 1705 km2 répartis en 7 îles de taille inégale, parfois éloignées les unes des autres de plus de 200km. Dans un tel contexte, la coopération inter-collectivités prend une importance capitale. Il faut concilier sur un espace exigu les besoins de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme, de l’urbanisme ; dégager de l’espace pour les voies de communica­tion, maintenir des espaces vierges pour les expansions de demain tout en se préoccupant de la protection de l’environnement. Des contraintes d’ordre géographique ou naturel, la situation des îles du sud (Désirade, Terre de Haut, Terre de Bas) qui souffre d’une double insularité et supportent seules le coût élevé d’équipements et d’infrastructures.


II- L’intercommunalité rendue difficile par l’organisation même du territoire

Si l’on se rapporte à l’origine de l’intercommunalité, on s’aperçoit qu’elle est un mode d’organisation du territoire, un moyen de remédier à l’émiettement communal. Il fallait faire face au ter­ritoire vaste et au grand nombre de communes. Dans les départements d’outre-mer, notamment en Guadeloupe, la coopération intercommunale a toujours été perçue comme un moyen d’harmoniser la gestion des services publics. Plus qu’ailleurs, la collectivité communale est la structure de base et représente un fait social. Elle atteint l’optimum dimensionnel.

Dans l’hexagone, près de 32 000 communes comptent moins de 700 habitants, près de 12 000 comptent moins de 200 habitants. Alors même, que la Guadeloupe ne compte que 32 com-munes3 pour une population d’environ 400 000 habitants, ce qui fait une moyenne de 11 000 ha­bitants. L’exemple du département de la Dordogne, illustre particulièrement bien ceci : pour un seuil de population identique à celui de la Guadeloupe, regroupe plus de 555 communes et la population moyenne par commune y est de 696 habitants.

Le problème de l’émiettement communal bien spécifique à la France hexagonale se trouve dé-pourvu d’objet en Guadeloupe. Cela s’explique du fait de l’étroitesse du territoire ainsi que du faible nombre de communes par rapport à la population. L’existence de la collectivité locale de base n’a jamais été menacée (4). La loi du 31 décembre 1966 instituant les communautés urbaines n’y est pas applicable non plus “ pour ne pas aggraver l’effet structurant de cet établissement public intermédiaire, un déséquilibre spécialement marqué, dans les 4 DOM, entre les quelques communes d’une agglomération urbaine et le reste du territoire en cours de dévitalisation (5).

Le cas le plus fréquent, dans la création d’une Communauté d’Agglomération se fait autour de la ville-centre (Bordeaux, Toulouse, Montpellier…) entourée de nombreuses petites communes. Contrairement à ce qui se passe souvent dans l’hexagone, notre agglomération est naturellement multipolaire, ce qui impose un équilibre de même envergure des pouvoirs. C’est une des spécificités de notre département. Chacune des 4 communes de l’agglomération pointoise disposant d’atouts considérables, qui les rendent complémentaires. Les régions d’outre-mer, à la différence des régions métropolitaines, sont monodépartementales. Deux collectivités se trouvent ainsi superposées (département, région) avec un seul préfet, mais chacune possédant son assemblée délibérante. Même s’il ne faut pas mettre sur le même plan le groupement intercommunal et les collectivités ; le premier est un établissement public spécialisé, doté d’une assemblée dont les membres sont désignés par les conseils municipaux avec des compétences limitées; les deuxièmes ont une vocation générale, dirigée par une assemblée élue au suffrage universel. Les relations entre les groupements et les collectivités locales sont complémentaires et non an­tagonistes. Le groupement supplée les communes et fait à leur place ce qu’elles ne peuvent réaliser seules, ce qui n’est pas le cas des collectivités locales qui exercent dans la plénitude leurs compétences.

Cela permet d’éviter les doublons institutionnels, dus au fait qu’il n’y ait qu’un seul département. La création d’un établissement public de coopération supplémentaire doit résulter d’une pro­fonde entente. L’intercommunalité de projet, forme de coopération plus intégrée, si elle se veut efficace, doit être mise en œuvre au niveau de l’ensemble du territoire avec l’assentiment des assemblées locales. La coopération doit avoir atteint un stade plus avancé de son développe­ment avant un tel changement. A défaut, la décentralisation devient une “ cacophonie institu­tionnelle ” et entraîne un télescopage des compétences, en raison surtout de l’affrontement des exécutifs territoriaux. Une remise à plat est indispensable à la relance de l’aménagement du territoire.

Il y a une crise de l’aménagement du territoire, qui ne provient pas exclusivement d’un désengagement, bien réel, de l’État (6), mais également du fait que les compétences ne soient pas clairement définies entre les divers acteurs. La superposition des différents niveaux d’administration est accentuée dans les régions monodépartementales. Inévitablement, cela nous invite à repenser la question du changement institutionnel ou statutaire qui sera fait en fonction du choix des élus locaux et de la population intéressée (7).

Autant de problématiques, qui nous enseignent que nous devons, pour réussir à développer la coopération intercommunale, l’appréhender d’une manière différente. En effet, le caractère sin­gulier de notre territoire, n’est pas toujours pris en considération par le droit de l’intercommunalité.

La nécessité d’un projet fédérateur

Comment faire de l’intercommunalité de projet, sans projets ? Lune des principales contraintes est la définition d’un véritable projet permettant d’établir une véritable stratégie de développe¬ment. Dans une perspective intercommunale, peut-on vraiment considérer comme dynamique le projet de regroupements d’actions sectorielles envisagées sur un territoire, sans réelles complémentarités entre elles ?
L’intercommunalité de projet doit conduire à de véritables stratégies communes, en d’autres termes, la carotte fiscale que constitue la dotation globale de fonctionnement ne doit pas faire oublier l’essentiel : la réalisation d’un projet de développement pour le territoire.
Dans le département, l’intercommunalité de projet consiste bien souvent en une coopération construite en fait sans programme commun minimal, sans diagnostic préalable des forces et faiblesses locales, sans vision partagée de l’avenir. On comprend mieux dès lors pourquoi certaines communautés de communes fonctionnent comme des dispositifs de captage de la dotation globale de fonctionnement (DGF) octroyée de manière préférentielle à ces structures par l’État. C’est l’esprit même du titre III de la loi d’Administration Territoriale de la République de 1992, qui propose une phase de diagnostic territorial puis l’élaboration d’un projet commun de développement, qui apparaît ainsi détourné.

On est là au cœur du paradoxe de l’intercommunalité pour le développement; alors que la loi accorde une DGF préférentielle au service d’une ambition territoriale commune supposée génératrice de plus-value en développement, la pratique locale consiste couramment à puiser dans cette DGF pour financer le fonctionnement et l’investissement classique des communes. Le questionnement au sujet du projet se situe ainsi au centre de la réflexion sur la décision. Pour s’en convaincre, il suffit de relire la définition proposée par P. Calame qui introduit cette notion de projet dans sa complexité, dans ses ambiguïtés et dans ses multiples dimensions. Celui-ci définit le projet, appliqué à la ville, comme “ la conjonction d’analyses, de désirs et de savoir-faire collectif qui permet de polariser chacun autour d’une ambition commune, de résister aux forces centrifuges, de surmonter les contradictions internes d’intérêts, de saisir les opportunités qui se présentent, d’exploiter les marges de manœuvre, de replacer l’action de chacun, improvisée en fonction d’évènements aléatoires, dans une perspective à long terme ”.

Les dépenses communales sont en totale inadéquation avec leur capacité financière. Il y a donc des choix à opérer et ceci afin de favoriser un développement harmonieux du territoire. Ces choix ne sont pas simples et ils le sont encore moins dans un archipel ou l’aménagement se développe sans véritable souci de planification au gré des ambitions communales.

L’intercommunalité doit avant tout être envisagée comme une philosophie de développement.

Dès lors, comment parvenir à une coopération intercommunale plus rationnelle, plus moderne, plus adaptée à la réalité locale? Comment amener les communes à mettre en pratique une réelle intercommunalité sans les y forcer tout en les incitant fortement à la mettre en œuvre? L’intercommunalité doit-elle venir de la base ou être imposée d’en haut par le pouvoir central ? A cet égard, comment envisager et penser en Guadeloupe l’obligation d’intercommunalité à l’horizon 2012 ?

“ Il n’y a pas de territoires sans Avenir, il y a des territoires sans Projets ”. L’enjeu est donc de concevoir un modèle d’intercommunalité en harmonie avec l’Archipel guadeloupéen, porteur d’un développement cohérent et durable mais qui ne soit pas un échelon institutionnel supplémentaire. Privilégier l’exercice effectif des compétences transférées aux établissements publics de coopération intercommunale et assurer une meilleure qualité de vie aux citoyens, doit être l’objectif des élus locaux.
Il ne s’agit pas d’importer un modèle mais le créer. A défaut, l’établissement public de coopération intercommunale se transformera en une «coquille vide» sans stratégies et sans projets.

(Lettre du CAGI n° 14 – Fév-Mars 2012)


  1. Paul Bernard: Une exigence française renouvelée: la coopération territoriale, AJDA 1988 p.707
  2. La prépondérance des syndicats intercommunaux ou mixtes, entraîne un manque de cohérence dans la gestion des politiques publiques liées à la multiplication de syndicats agissant sur un même territoire et d’autre part un retard conséquent dans la gestion intercommunale de certains services publics. Une intercommunalité technique sans ligne directrice, absence de stratégie d’ensemble et une appréciation difficile des enjeux. Le retard dans la gestion intercommunale s’affiche essentiellement pour trois services publics importants, le traitement des ordures ménagères et la gestion de l’eau et de l’assainissement et l’organisation des transports.
  3. Depuis la transformation des communes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer.
  4. La loi du 16/7/71 relative aux fusions n’avait d’ailleurs pas été étendue aux Départements d’outre-mer
  5. CH CLEMENTE, JC FORTIER, L -M LESEL : la coopération entre les collectivités territoriales dans les départements-régions d’Amérique. Cahiers du CNFPT.
  6. Le mot d’ordre des services de l’État à l’intention des communes, est la péréquation et la mutualisation des moyens financiers
  7. Depuis la loi de départementalisation de 1946, la Guadeloupe et la Martinique n’avaient pas connu de débat aussi nourri que celui qui s’est tenu entre 1999 et 2003 à l’occasion de ce que l’on a qualifié de changement institutionnel et statutaire. Le 7 décembre 2003, les populations de la Guadeloupe, de la Martinique, des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont été consultées sur l’évolution institutionnelle et statutaire de leurs territoires. Les deux îles du Nord sont les seules à avoir voté oui, se détachant ainsi de la Guadeloupe pour être érigées en collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution.

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