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Nous publions un article de Teddy Bernadotte, directeur de cabinet de Ary Chalus, président de la région Guadeloupe. Il revient sur le projet Audacia, cette technopole, pépinière d’entreprises qui doit voir le jour au Morne Bernard, sur la commune de Baie-Mahault. Un projet qui n’en n’est plus tout à fait un : il prend forme. Marc Jallet a remporté le concours d’architecte le faisant entrer dans sa phase concrète.
Depuis la fin des années 90 en effet, on parle de cette idée de technopole qui a mis du temps à se mettre en œuvre.


Teddy Bernadotte la resitue dans le cadre du développement de la Guadeloupe. Transformer des terres agricoles en espace d’innovation n’est pas anodin dans un pays socialement et économiquement en souffrance. Au delà des éléments de langage, le projet est ambitieux. S’il réussit on peut espérer que la Guadeloupe, en matière d’énergie renouvelable notamment, ne perdra plus le contrôle d’une partie de sa production d’électricité comme cela c’est produit il y a deux ans, lorsque la centrale géothermique de Bouillante a été vendue à une multinationale américaine. Les compétences et les savoir-faire locaux sauront s’y opposer, ce qui n’a pas été le cas alors.

« La société guadeloupéenne tente de se construire, mais elle demeure fragile et duale, ce qui occasionne de nombreux soubresauts. L’échec des politiques publiques dans des domaines stratégiques comme l’eau, les déchets et les transports ne fait qu’accentuer le sentiment de mécontentement de la population qui doute des acteurs publics et des institutions. Il est important de comprendre que les causes qui ont présidé à la grande crise de 2009 demeurent encore vivaces. Tous nos efforts doivent tendre vers un seul et même objectif : rendre le monde de demain meilleur. Nous le devons aux générations futures.

La fin de l’emploi public

L’ère de l’emploi public s’achève Il faut maintenant chercher d’autres voies de création d’emplois. Nous avons hélas adopté la culture de la fonction publique et cultivé la peur du risque. Or, aujourd’hui, il faut donner les moyens du risque au jeune entrepreneur qui veut se lancer dans les secteurs innovants. Tenons compte des réalités de ce secteur et accompagnons-le avec des actions adaptées. Mettons en place des critères spécifiques pour évaluer les risques et introduisons de la souplesse dans notre système de financement. Il s’agit de convaincre les jeunes qu’ils doivent s’approprier les vertus de l’innovation, de la compétitivité, de l’audace.

La compétitivité, l’innovation nous permettront de créer de la croissance et des emplois dans nos territoires et de remettre en avant l’indicateur confiance. Une confiance en nous et en notre pays qui doit nous permettre de créer les conditions d’un développement optimal des jeunes “pousses“ et de les aider à passer du rêve à la réalité. Mais pour atteindre cet objectif, nous devrons commencer par rompre avec un certain conformisme, une facilité qui consiste à appliquer des processus et des méthodes qui ont pourtant échoué. Nous devons offrir rapidement des opportunités concrètes à nos entrepreneurs, à défaut, nous ne ferons qu’amplifier la fuite vers d’autres horizons. Lutter contre la fuite des cerveaux en offrant rapidement des opportunités concrètes à notre jeunesse, voilà l’enjeu vital pour demain.

Des règles plus souples pour créer du dynamisme

Nombreux sont ceux qui souhaitent investir dans les secteurs innovants, à ne disposer que de leur génie propre comme seule ressource. Il faut souligner les délais, anormalement, longs entre la présentation, l’instruction des dossiers et la mise à disposition effective des fonds. « Le temps, c’est de l’argent », et ne pas pouvoir en disposer, dans un délai raisonnable, peut rendre un projet rapidement obsolète. Les investissements portés par les collectivités publiques, zones d’aménagement économique, zones d’aménagement concerté, privilégient le modèle économique existant et des activités économiques anciennes, mais dominantes. L’accès à ces programmes nécessite des moyens financiers considérables et n’est absolument pas conçu pour accueillir des patrons de start-up. La trop grande complexité des règles d’éligibilité, dans l’attribution des aides publiques, brime toute initiative, même chez les porteurs les plus volontaires de projets. Ceci ne favorise pas le dynamisme local et pénalise l’initiative privée. Le taux de chômage élevé, le nombre de fermetures d’entreprises, et surtout le nombre de projets innovants qui ne parviennent pas à voir le jour en sont hélas une illustration. En Guadeloupe, il y a beaucoup de créations d’entreprises, mais encore trop peu d’entreprises parviennent à franchir le seuil des deux années d’existence. C’est pour cela que nous devons accroître le nombre de couveuses qui doivent fonctionner comme des accélérateurs d’idées.

Un jeune Guadeloupéen doit pouvoir se projeter dans la peau d’un capitaine d’industrie. AUDACIA Technopole Caraïbes vise à inscrire notre pays dans le monde d’après. La concrétisation de ce projet traduit la volonté d’instaurer un nouveau modèle économique visant à insuffler l’esprit d’entreprise à une nouvelle génération d’entrepreneurs. La Technopole deviendra le carrefour des projets innovants qui doit capter les innovations de rupture et dépasser la crise. L’ambition est de faire de la « vallée du morne Bernard », un lieu d’épanouissement des entreprises et des hommes. Un pôle de compétitivité et d’excellence dédié à l’innovation. L’originalité du projet tient également à l’intégration de cet espace économique et scientifique dans un projet urbain avec la création, sur le site, d’un nouveau quartier de la ville, au coeur de la Guadeloupe et de la Caraïbe. La Technopole bénéficie donc d’atouts majeurs en termes d’attractivité du territoire et de marketing territorial. Pour que la technopole réponde aux attentes des entreprises, il importe que les instruments financiers disponibles soient eux aussi innovants pour coller aux contextes émergents et aux contraintes de réactivité sur des marchés en pleine mutation.

Un atout pour l’aménagement durable des territoires et pour les services publics locaux

S’il s’agit d’un projet audacieux, nous ne sommes cependant pas en présence d’un projet élitiste. La Technopole constitue un atout pour l’aménagement durable des territoires et des services publics locaux. La fracture numérique désigne le fossé entre ceux qui utilisent les potentialités des technologies de l’information et de la communication (TIC) et ceux qui ne sont pas en état de les exploiter. Cette stratégie a pour but de tracer une voie afin d’exploiter au mieux le potentiel social et économique des TIC, surtout de l’internet qui constitue désormais le support essentiel de toute activité économique et sociétale, qu’il s’agisse de faire des affaires, de travailler, de s’amuser, de communiquer ou de s’exprimer librement. Le défi du nouveau millénaire ne résulte pas dans nos clivages mais dans notre faculté à rassembler afin de trouver des solutions pérennes et assurer un développement durable. Ce projet est incontestablement le fruit d’une volonté politique communale ambitieuse, en faveur d’un développement économique, technologique et social innovant. Cependant, nous ne pouvons réussir sans concertation avec les autres collectivités publiques. Dans le contexte qu’impose le contrat de Cahors (1), la Technopole AUDACIA, peut-être un exemple réussi d’une véritable co-production des politiques publiques et un modèle de partenariat public/privé.

S’appuyer notre biodiversité terrestre et maritime et sur l’université

Si nous ne disposons que de faibles ressources industrielles, il nous appartient d’investir des secteurs innovants : les technologies de l’information et de la communication (TIC), les énergies renouvelables, l’agro-transformation. Tous ces secteurs peuvent constituer un fort levier de développement économique pour notre territoire. Au-delà, et parmi nos nombreuses richesses, notre biodiversité terrestre et maritime apparait également comme un secteur stratégique et durable. Aujourd’hui dans ces secteurs, qui requièrent de la créativité, de l’innovation et de l’originalité, tous les cerveaux de la planète sont à égalité. Désormais, il importe de ne nourrir aucun complexe, bien au contraire. Nos régions disposent en premier lieu, d’une jeunesse ambitieuse, talentueuse, qui comme Édouard GLISSANT « agit et pense avec le monde ».

Mais le principal artisan de cette réussite demeure, l’université des Antilles. Ceci parce que AUDACIA représente une opportunité pour y édifier un pôle régional dédié aux technologies innovantes et à leur enseignement. À l’instar de Sophia Antipolis, le pôle d’excellence du Morne Bernard à Baie-Mahault pourra constituer un relais de l’université des Antilles (UA) dans le domaine des technologies avancées. Localisé à proximité de sièges d’entreprises de communication (Guadeloupe Première, Orange, France Télécom, Canal+, Canal 10, ETV….) ou près du futur Cluster agricole, (agroalimentaire et biotechnologies) qui intégrera le lycée agricole, la chambre d’agriculture, le marché d’intérêt régional et la MAROPA (maison régionale des organisations professionnelles de l’agriculture).

La Technopole contribuera à rapprocher la recherche et les entreprises.

u-delà d’un site, c’est un concept global de valorisation de la matière grise pour l’ensemble de la Guadeloupe. Il s’appuie sur un socle de recherche, des centres de renommées internationales, des écoles d’ingénieurs, des entreprises industrielles de pointe. Axes de développement prioritaires, TIC (technologies de l’information et de la communication), Énergies renouvelables, Mer (aquaculture, sciences et techniques) (protection de la mangrove, études du corail…), études des risques majeurs. Sur un territoire porteur d’avenir où de fortes potentialités de croissance ont été identifiées, la Technopole travaille à un équilibre tripartite entre les mondes de l’entreprise, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Son objectif principal est de susciter, sous toutes les formes, les synergies entre les missions académiques et le monde de l’entreprise. Son coeur d’activités se décline autour de trois missions :

  1. Le développement des pôles de compétence : concerne les programmes structurels et fédérateurs, animations d’un réseau d’experts (recherches d’entreprises, de partenariats).
  2. La création d’activités innovantes à partir de projets émergents dans les entreprises et les laboratoires (incubation technologique) : assistance à la création d’entreprises (incubateur et pépinière d’entreprises), détection, évaluation, accompagnement et assistance au montage de projets visant à renforcer nos pôles de compétences
  3. Promotion des atouts technologiques, scientifiques et industriels d’un territoire pour un marketing lisible et attractif : conventions d’affaires, congrès, expositions, promotion des atouts de communication interne et externe. Ex. : Futuroscope, Cité des Sciences…

La Technopole Baie-Mahault – Morne Bernard doit devenir un acteur important du pôle de compétitivités de la région Guadeloupe. La Technopole est une démarche qui concentre des compétences et des savoir-faire. Orientée vers le transfert de technologie et la valorisation de la recherche, elle est un outil de développement au service des territoires. La concentration des compétences et leur interaction créent une dynamique qui invite alors d’autres compétences à venir s’implanter.

Un défi : créer notre propre modèle de développement

imone Schwarz-Bart nous apprend que “le pays dépend bien souvent du coeur de l’homme : il est minuscule si le coeur est petit, et immense si le coeur est grand“. Cela signifie que la Guadeloupe sera ce que nous en ferons. Se fixer des ambitions sans limites, lutter contre la “déclinisme“, le fatalisme, une morosité ambiante et reprendre confiance en nous, mettre en avant nos atouts et qualités. S’inscrire dans le monde d’après, c’est relever les grands défis du troisième millénaire, la lutte contre le réchauffement climatique, la transition écologique, la recherche de nouvelles sources d’énergie, et le développement de nouveaux modes de consommation. Un monde dans lequel, nos jeunes pourront faire des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vues. Certes, tout changement est difficile. Pourtant cette ambition doit nous garantir d’être la “Silicon valley“ de la Caraïbes. Nous allons certainement commettre des erreurs, vivre des déceptions, mais nous saurons persister et tirer les leçons de nos échecs pour viser toujours l’excellence. C’est une voie difficile, mais il n’y en a pas d’autres.

PerspekTives
5 février 2019


(1) CAHORS : C’est la contractualisation qui consacre la rigueur de gestion. L’Etat s’étant engagée dans une démarche de réduction de sa dette publique, le gouvernement a souhaité mettre à contribution les collectivités qui représentent pas moins de 18% du déficit public national. Sur la période 2018-2020, la loi de programmation des finances publiques a encouragé 322 collectivités ayant réalisé plus de 60 M€ de dépenses réelles de fonctionnement au budget principal du Compte administratif 2016 à contractualiser sur les objectifs suivants : contrôle des dépenses de fonctionnement, réduction du besoin de financement, contrôle de la capacité de désendettement à 9 ans pour les régions, 10 ans pour les départements et 12 ans pour le bloc commun

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